En 2012, jadis, naguère, quand on te demandait où tu te voyais dans 10 ans et qu’à AUCUN moment tu aurais répondu « confiné chez moi avec un coton tige dans le nez », je te racontais ici que j’avais fait le deuil d’un dernier enfant, le deuil d’une hypothétique 3ème grossesse.
Je te promets que ce jour là j’étais absolument sûre de moi. Certaine. Croix de bois, croix de fer.
Je terminais par ces mots : « Petit frère, petite sœur ou qui que tu aurais pu être, tu peux choisir une belle et gentille famille. Mais ça ne sera pas la mienne. »
Mon premier accouchement a été une boucherie sans nom qu’il a fallu digérer pendant de longues années.
Mon second n’a été que la suite presque logique du premier.
A chaque coup j’ai manqué de perdre l’enfant que je portais depuis 9 mois. Ça laisse des traces. Partout. Dans ton corps, beaucoup et dans ta tête, évidemment.
En 2012, il était pour moi inconcevable de retenter la chance qui m’avait finalement sourit déjà deux fois.
En 2018, je retombais enceinte.
C’était pas plus prévu que l’énorme piche de la veille pour mon anniversaire.
Pas plus prévu que de me remettre en couple.
Pas plus prévu qu’une pandémie mondiale.
Pourtant, depuis quelque temps, le sujet me travaillait.
J’étais avec cet homme qui n’avait pas d’enfant et qui en rêvait. Il connaissait dès le départ ma position et mon histoire, tu penses bien qu’à notre âge, on en est plus à faire perdre du temps à l’autre. Mais il avait ce truc qui gribouillait mes hormones.
Alors, après le choc de la nouvelle, j’ai consulté tous les professionnels que je pouvais.
J’en connaissais un paquet, alors je les ai tous vus pour aborder le sujet.
J ‘étais terrifiée et somme toute assez extatique en même temps, c’était une situation très compliquée dans ma tête à ce moment là. Après deux césariennes en urgence, là où la vie de mes enfants avaient manqué un battement, je me disais « et si… »
Une troisième grossesse sur un utérus bi-cicatriciel et après une rupture utérine, c’était un peu la roulette russe de l’endomètre, faut bien se le dire.
Les médecins étaient confiants. Ma dernière cicatrice avait 10 ans. De quoi se refaire une santé.
Alors on a décidé d’y aller.
Évidemment, avec un dossier pareil, c’est le chef de service qui te suit, avec tout un tas d’internes intéressés par ce cas d’école : ton corps, c’est un sujet de thèse à part entière.
J’ai été suivie comme Britney Spears par les paparazzis, avec au moins autant de photos de mon lardon. Des échos tous les mois, avec inspection de la cicatrice, mesures, parce que bon, il s’agissait de pas faire un bébé de 4kg, déjà que mon utérus avait pas supporté le dernier de 3.
On m’inspectait, on me prenait du sang, des urines, des clichés, de l’insouciance, beaucoup, surtout. Parce que c’était le prix à payer pour notre sécurité.
A 4 mois de grossesse on me donnait ma date d’accouchement. Pile un mois avant. Toujours pour cette histoire de volume.
Mon corps, ce bon petit soldat géré par mon cerveau quelque peu autocrate, s’est permis seulement 4 petits kilos supplémentaire sur la balance durant ces 8 mois. Oui, j’étais cette connasse là que tu croises dans les couloirs de la maternité qui ressemble plus à un cintre qu’à une parturiente.
(Ne t’inquiète pas pour moi, j’ai pris TOUT ce que j’aurais dû prendre APRÈS l’accouchement, autant te dire que j’ai pas crané longtemps dans mes jeans taille 36, bouton fermé, dès e lendemain de l’accouchement).
8 mois psychologiquement instables. Alors que tout allait bien (plus ou moins, j’ai bien entendu eu le droit à toute la panoplie des merdes de grossesse, des nausées au diabète gestationnel, en passant par les hémorroïdes), dans ma tête, c’était le Beyrouth émotionnel niveau stress.
Au final, parce que je vais te la faire courte, tout s’est bien fini, mon accouchement a été quasi idyllique, j’ai même pu « pousser » le bébé au moment de le sortir par, donc, mon ventre. J’ai eu un moment avec lui, une vraie rencontre, avant les soins. Au final, c’était un accouchement normal, la cicatrice en plus. L’équipe était au taquet de notre confort, y compris psychologique, c’était… parfait.
MAIS.
Parce qu’il y a un mais, et du coup, tu vas comprendre pourquoi je te balance ce billet presque 3 ans après.
MAIS les gens ne comprennent pas.
90% de mon entourage n’a pas senti la peur qui me terrassait chaque jour, ni le soulagement excessif après chaque nouvelle échographie qui disait « jusqu’ici tout va bien ».
J’étais profondément seule à gérer mes angoisses. De l’extérieur tout allait bien. A l’intérieur, c’était autant le bordel qu’une chanson de Jul.
De façon inattendue et pourtant plutôt évidente quand on y pense, le seul à prendre toute la mesure de ce que je vivais était le père de mes deux premiers enfants, puisqu’il avait aussi vécu le pire, donc, forcément, il savait.
Du coup devine ? J’ai gagné un billet pour une dépression post partum carabinée.
Évidemment.
Aujourd’hui c’est mieux, mais il m’aura fallu du temps pour remettre les choses à leur place, admettre que OUI, ça allait, tout était allé, comme on me le disait sans que j’y crois une seconde.
Alors voilà…
Je voulais consigner tout ça là pour dire à celles qui liront de parler plus, à qui elles peuvent et si possible à des professionnels, pour limiter les dégâts.
Et dire à ceux qui sont à côté de les protéger de leurs propres démons, de leurs propres angoisses, de leur propre passé, en les écoutant sans minimiser, en les croyant sans douter. Jamais.
Et tout le temps.
Soyez présents.
Et croyez en vous, parce que croyez le ou non, lorsqu’on m’a rouvert, au moment de couper la membrane utérine, j’ai entendu la gynécologue s’exclamer « Mais… il n’y a aucune trace des anciennes cicatrices c’est fou ! »
Parce que la vie, c’est ça aussi.
« Petit frère, tu as choisi une gentille et belle famille. Je suis bien heureuse que ce soit la notre »