Mercredi 11 septembre 1996
Hier soir, c’était bizarre.
C’était la veille de le rentrée, dans cette nouvelle ville, ce nouveau lycée, cette nouvelle vie.
J’ai même pas dormi chez moi. J’ai pas encore de chez moi. Ma mère vit chez ma grand mère avec mon frère, mon beau père vit à l’hôtel près de son boulot.
Et moi, dans un foyer de jeunes filles catholiques (LOL)
Ici, ça sent la vieille et la poussière. Les bonnes sœurs font comme si elles étaient gentilles mais on a le droit de rien faire, et visiblement, elles n’aiment pas trop que je sois moyennement croyante vu comme elles s’échappent des conversations.
Elles ont servi des pains de viande.
Ça ressemble à une tranche de merde, un peu.
J’ai pas mangé du coup, et on est allé faire le mur avec ma copine de chambre pour s’acheter un sandwich en ville. En passant par la chambre de Sophie, on atterrit sur la cabine téléphonique devant la Cathédrale de Fourvière, il suffit de sauter et on accède directement au funiculaire. Parfait.
Heureusement que les filles ici sont sympas, sinon, je sombrerai vite en dépression je crois, tellement c’est glauque.
Entre l’électricité aléatoire, les douches froides,les murs en moquette marron et les mégères voilées, j’ai l’impression de vivre dans un roman de Jules Renard.
En revenant, j’ai parlé un moment avec ma colloc de ma trouille de ce nouveau lycée. J’arrivais de la cambrousse allemande, dans cette trop grande ville.
Julie était plus âgée. Elle était un peu folle, je trouvais, et étudiait en psycho je ne sais où dans Lyon. Mais elle avait le bon mot quand j’en avais besoin.
» Qu’est ce que tu t’en fous, de ce qu’ils penseront de toi. T’es sympa. Bah reste sympa. Les gens qui te snoberont sont des cons. Les autres, tu arriveras peut-être à t’en faire des amis »
Je ne sais pas si Julie a réussi à être psychologue, mais elle avait le mérite de ne pas mâcher ses mots quand il s’agissait de dire ce qu’elle pensait, toujours avec bienveillance.
Je suis arrivée au lycée ce matin avec mes Doc jaunes, mon pantalon à carreaux et beaucoup (beaucoup) de courage.
J’ai attendu devant le pilier de la 2nde 2 où s’inscrivait mon nom, et je regardais les gens autour de moi en essayant de parier sur ceux qui me snoberaient et ceux qui avaient une chance d’être moins pire.
J’ai au final passé une bonne journée.
J’ai rencontré des copines assez cool, les autres sont franchement pas super intéressants et le lycée est tellement plus beau que ce que j’ai connu avant que je ne peux qu’être ravie. Et puis coup de chance, une des copines du foyer est là aussi, en 1ère, on s’est rendu compte qu’on avait été dans le même spectacle de danse quand on avait 6 ans aussi. C’est tellement drôle…
Parfois la vie.
Samedi 23 novembre 1996
Alex m’a embarquée dans un truc improbable juste pour qu’elle puisse voir « Greg ». L’enfer. Je pige pas trop ce truc de pas faire les choses clairement dès le départ, si elle l’aime autant ce Greg, qu’elle lui dise et qu’on en parle plus. C’est pas comme si il était le beau gosse du lycée alors qu’elle, elle est canon, c’est bon, elle risque pas trop l’humiliation…
Bref, le mec était là avec son binôme habituel.
Ça va que je le trouve mignon celui-là, parce que voir des mecs jouer et zoner sur un terrain de basket alors qu’il fait moins 12, j’ai connu des meilleurs moments et j’avais clairement d’autres perspectives d’avenir.
Dimanche 20 avril 1997
Je me suis encore laissée embarquer dans un après midi de la loose à mater des mecs se la raconter avec un ballon.
Alex a intérêt à me faire marraines de ses gosses avec ça, je mérite !
Bon, au moins, elle sort avec ce toquard de Greg pour le moment (oui, j’espère quand même que ses mômes ne seront pas issus de cette union, faut pas déconner), j’aurais pas donné de ma personne pour rien.
Je m’ennuyais tellement que je suis allée acheter des glaces qu’on a partagé avec les deux autres potes de Greg pendant qu’il roulait des pelles à ma copine.
Au final, ils étaient sympas. Et le binome toujours mignon, bien que s’il parlait un peu plus ce serait pas du luxe…
Du coup, je suis tentée de bien l’aimer mais je sais pas si il est aussi niais que son pote ou pas, c’est gênant pour la suite quand même.
Mai, juin, juillet 1997.
Bon, ok, je fais peut-être une fixation sur Ninoune le binôme.
Oui, j’ai réussi à lui fournir le surnom de NInoune (un surnom tellement viril, on notera, et en même temps, c’est exactement ce qu’il m’inspire quand je le vois, cette envie de lui pincer les joues comme Tatie Jacqueline et en lui collant un énorme bisou) histoire de pas me griller dans la cours quand je parle de lui avec mes potes.
Ninoune est parfait, il est pas bien grand, il est gentil, il a pas l’air trop con, il est sportif et il a l’air d’aimer rigoler, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Bon… il a les yeux verts de ouf, ce qui rend assez perturbant le croisement de regard, rapport que j’ai connu que des yeux marron dans ma vie (oui, ça arrive).
En revanche… Il me calcule pas plus que ça. Éventuellement, ça pourrait être gênant pour envisager une suite.
De toute façon, je me casse en vacances, donc tant pis si il ne se passe rien.
1998, 1999…
Tout au long de mon lycée, ce mec est resté quelque part dans ma tête (et dans mon périmètre, puisqu’on se croisait régulièrement dans les couloirs et dans la cour). On s’est retrouvé plusieurs fois sur le terrain à les mater encore, quand ça nous prenait. Son petit frère avait rejoint la bande… C’était une periode un peu étrange au final, du côté de ce que je ressentais vis à vis de ce groupe là.
J’ai continué à vivre ma vie, il vivait la sienne. De temps en temps, on se croisait à une soirée.
Jamais il ne s’est passé quoi que ce soit.
J’ai jeté mon dévolu sur je ne sais plus trop qui quand il a commencé à s’intéresser à moi.
On a fini comme ça le lycée, en se croisant, en le voulant, mais jamais en même temps.
2000-2001
Je l’ai recroisé une fois à la fac alors que j’allais voir une copine.
On a tous mangé à la même table comme les « anciens » du même lycée.
C’était un peu ridicule, parce que ce groupe là n’avait jamais vraiment fait parti de mon environnement, mais après tout pourquoi pas.
2016
J’ai signé un contrat à l’université. Cette fac même où j’avais croisé « Ninoune » la dernière fois.
En allant acheter un café à la cafet’, je me suis souvenue tout à coup, de ce déjeuner avec eux. Avec lui. Je ne l’avais pas oublié mais j’avais oublié que ce mec là m’avait à ce point marquée.
Chaque recoin de la cour me rappelait au souvenir de cette journée, c’était perturbant, une peu comme ces souvenirs un peu nostalgiques qui collent alors qu’on ne sait trop pourquoi.
Et puis la vie.
mardi 24 octobre 2017
23h30, je suis pas peu fière de moi, je viens de m’échapper d’un apéro avant minuit. Putain je grandis quoi ! Bon, par contre, me faut un sandwich avant de rentrer sinon je vais crever.
« Vous avez un nouveau match ! »
Nan mais sérieusement ???? J’ai viré Tinder depuis au moins une semaine, pourquoi j’ai une notif ?
Pffff.
– C’est prêt dans 5 minutes Madame !
Bon… Ok…
Alors voyons… c’est quoi déjà mes codes. Ha oui.
Alors… pourquoi Tinder me parle encore alors que je l’ai dégagé, c’est où les paramètres ?
« Vous avez des nouveaux matchs »
Ouais, ouais, j’avais compris.
Bon, voyons, on sait jamais.
BAM.
Ninoune.
Bon, il a plus tellement la tête du Ninoune, il a l’air d’avoir gagné 40 cm ou je rêve ?
C’est drôle quand même. Je vais lui parler, histoire de meubler le temps d’attente.
– HAHAHAHAHAH ! Salut ça va ? C’est drôle de se retrouver là ! Pathétique… Mais drôle !
– Un peu pathétique ouais… mais effectivement drôle. Qu’est ce que tu deviens ?
– Nan laisse tomber, depuis 20 ans, on va pas tartiner des pages ici. On se croisera pour boire un verre si tu es sur Lyon , ce sera l’occas si tu veux !
– A bah ouais, allez ! (ne crois pas que je suis pas farouche à dire oui direct… mais moi, dès que tu me parles d’apéro…)
– Écoute, là jsuis à Paris, je reviens demain vers 20h30 en ville si jamais.
– Euh… ok.
– Cool, je te dis quand j’arrive, tu me dis où je te rejoins.
– Ok.
I.M.P.R.O.B.A.B.L.E.
Bon, si y’a un truc auquel je ne m’attendais pas, après avoir croisé mon ex, l’ex de ma meilleure pote, mon voisin et mon boulanger sur Tinder, c’était de retrouver un amour d’adolescente.
Mais ça me titillait de savoir ce qu’avait pu devenir cet espèce de fantasme d’ado que j’avais trainé presque tout le long de mon lycée.
mercredi 25 octobre 2017
– Hello ! J’ai réussi à choper le train d’avant, je peux être sur ton spot à 20h du coup.
– Ok. J’y serai. A tout !
Je revenais de je ne sais où, avec un jeans trouvé et un sweat dont j’avais découpé le col, loin du cliché de la nana prête pour un rencard. C’était pas vraiment un rencard ceci dit.
– Salut !
Ok, donc, le mec arrive en costard, l’enfer. J’ai l’impression d’avoir rdv avec mon banquier, sauf que je me serai mieux habillée pour cette occasion, en vrai. Je suis pas à l’aise.
– J’suis désolé, je suis venu direct, je me suis pas changé du coup.
Bon… il a dû noter mon mouvement de recul, je vais tâcher d’être plus sympa.
(Ou il a eu pitié de ma tenue et est hyper bien élevé, on sait pas)
Ce soir là, on a discuté pendant 5 heures sans s’arrêter. J’ai mangé TOUT le fromage des planches commandées sans lui en laisser et on a fini par se faire virer du bar parce qu’ils voulaient se coucher. Eux.
On a fini en discussion sms jusqu’à 5heures du matin. C’était n’importe quoi, mais on avait clairement besoin de se parler.
Je souriais parce que je pensais à tous ces après midi à rien se dire, alors que là, on ne s’arrêtait pas.
Jeudi 26 octobre 2017
-Tu fais quoi ce soir ?
-J’ai une soirée avec des copines
-Si je te rejoins avec des potes ça te dérange ?
– Euh… si c’est pas en début de soirée, ok…
J’ai raconté à ma pote ma soirée de la veille.
– Heu… t’as l’air de bien l’aimer ce mec !
– Mais non.
Il nous a rejoint.
J’étais ivre. Et visiblement, je ne me suis pas arrêtée pour autant.
Il m’a ramené chez moi gentiment, parce que je devais faire peine à voir pour me laisser repartir seule.
Sur le chemin, je l’ai embrassé. Fallait au moins que je sois bourrée pour faire ça.
– Ouais, désolée, mais au moins, ça clôt une période de ma vie, je trouve ça pas mal de mettre des points aux histoires pas finies.
Il a souri.
Je ne me souviens de pas grand chose d’autre.
On se voit depuis ce jour-là.
Au début, juste comme ça, parce que je voulais pas vraiment m’encombrer d’un autre mais que je sentais que c’était différent avec lui.
Et puis tout le temps.
Dès que c’était possible.
J’y connais franchement que dalle en amour et je ne parie plus sur rien, mais quand c’est évident…
Dès lors on a construit nos souvenirs, on a mélangé nos vies, on a couru les rues qu’on avait manqué ensemble.
On a viré l’inutile, même celui qui nous avait aidé à devenir qui nous étions, on voulait juste se composer à deux et vivre comme si on devait rattraper le temps perdu à se chercher.
On a retrouvé l’équilibre à deux, à quatre et puis à tous ensuite, quand nous savions qui nous étions, ensemble.
C’était rapide et c’était évident.
C’est passé vite et ça parait faire toujours.
On a décidé définitivement qu’ensemble, c’était mieux.
Et la vie aussi.
Alors on a été surpris, mais pas tellement étonné, d’apprendre, entre deux avions, que la nausée qui m’habitait depuis deux jours n’était pas dû à la liqueur de Myrte du resto de Marcu sur les hauteurs de Propriano.
Non.
C’était pas la liqueur de myrte.
C’est juste la suite tellement logique de notre histoire, parce qu’en vrai, elle méritait pas de point final.
Alors elle a décidé d’y mettre des tas de nouveaux chapitres.
The Loading-Baby approves this story.