La machine à café

Alors que j’avais pris l’habitude de m’enrouler dans ma couette chaque soir et me réveiller aussi froissée qu’elle le matin, me fichant pas mal de la longueur du poil qui couvrait la jambe qui sortait à moitié de cet amas de draps pour compenser le trop plein de chaleur, je me suis réveillée chez lui.

C’était tellement con cette histoire.

Je voulais continuer à ne plus penser à si je ressemblais plutôt à un panda ou à un yéti.
Je voulais croire que j’étais au dessus de tout ça.
Je voulais continuer ma nouvelle vie comme j’en avais envie, en ne devant rien prouver à personne d’autre que moi-même, je me trouvais même douée en la matière tant la situation me convenait parfaitement.
Je vivais comme Cendrillon, en rentrant sagement seule avant minuit, ou presque.

Et voilà que je me réveillais à côté de quelqu’un qui m’avait gardé dans son lit.
A côté de lui.

Lui qui partageait ses nuits avec d’autres au gré de ses envies, en témoignaient les indices féminins savamment disséminés dans son appartement comme pour marquer un territoire qu’il ne souhaitait qu’à lui mais qu’elles tentaient d’investir en créant un ersatz de vie commune imaginaire.

Et voilà qu’il se réveillait à côté de quelqu’un qui se fichait de ce qu’il en penserait.
A côté de moi.

Cette nuit là j’avais été réveillée par mon propre filet de bave filant sur son épaule droite.
Ce matin là, la taille de mon épi défiait l’oubli de démaquillant de la veille.
Un matin assez commun, mais chez quelqu’un.

Il a déposé un baiser sur mon front avec toute la tendresse d’un couple qui a plus de dix ans d’âge.
Il m’a regardée comme si j’étais quand même jolie.
Je lui ai souhaité un sincère bonjour.
J’ai dit quelque chose qui l’a fait rire à propos de la situation.

Parce que je trouvais ça agréable de commencer par en rire avant qu’on se dise qu’on n’en avait pas vraiment l’envie, le temps ou le courage.

Il m’a proposé de le rejoindre dans la cuisine pour partager un café.
Une dernière fois, avant de retourner dans notre jolie vie qu’on s’était chacun égoïstement construit.

C’était assez pénible de se retrouver là, assis côte à côte, faisant face à la machine dont le bouton de chauffe paraissait mettre des heures à s’éteindre avant de briser enfin le silence de son ronronnement.

Il a déposé un mug noir octogonal sous le percolateur en me précisant que c’était à sa mère, comme si ce détail allait importer sur le goût de fuir que j’avais dans la bouche.
Il a penché le loquet sur la droite et le râle du moteur a achevé la tentative de discussion.

En faisant rouler les angles de la tasse sous mes doigts pour sentir la chaleur du café, j’ai souri : ma mère avait la même vaisselle en 1988, et je la trouvais déjà moche à l’époque.

Il s’est levé pour se diriger dans la douche, me laissant en tête à tête avec la machine.
J’ai allumé une cigarette qui trainait sur la table pour embrumer ce moment gênant.
Plus je regardais cette machine à café, plus je me demandais ce que je faisais là et moins j’avais envie de partir.

J’ai refait couler un café.

Puis un autre.

 

Hier, on a ressorti sa machine à café parce que la mienne, qui gagnait largement au concours du meilleur expresso, a rendu l’âme.
On a replongé notre appartement dans le ronronnement de ce matin là.
Et j’ai refait rouler sa tasse entre mes doigts.

 

 

 

 

8 réflexions sur « La machine à café »

  1. Trop mimi ;o) La vie a souvent de belles surprises! Longue vie à cette tasse. Et au reste! (PS – ne te plains pas, le mien avait un mug walker texas ranger…)(au second degrès, ouf)

  2. Oh la la, merci Esso pour les tasses noires hexagonales (et le reste de la vaisselle qui allait avec …) !
    Et merci à toi pour cette petite histoire qui donne le sourire …

  3. Cet article est juste trop beau ! Il me rappelle nos débuts, quand ça commence en se disant que ça ne donnera rien et finalement des années après ça a donné de jolies choses !
    Pour info j’ai la même tasse ! Il n’en reste qu’une ! Vestige de la vaisselle de mes parents quand j’étais une mini ! Elles ont un pouvoir de dingue ces tasses !

  4. Je suis vraiment accro au café depuis que j’étais à l’université. Cette boisson me redonne la pêche quand je suis fatiguée et elle m’aide également à rester concentrée lorsque je dois bosser.

  5. Trop mignonne cette petite histoire ! Perso je me suis rendue accro au café depuis que je me suis lancée en tant que freelance haha

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