Vomir, sourire, ne pas subir

Je voulais en rester là à propos de Charlie, je ne voulais pas rentrer plus personnellement dans le détail de ce qu’il se passe en moi depuis 3 jours. Je ne voulais que parler de mes enfants, de comment leur dire et de ce qu’ils en disent, eux. Je voulais peut être me protéger moi en les voyant gérer les événements récents avec intelligence, respect et maturité. Mes enfants sont devenus mes boucliers émotionnels. Je les voyais avoir ce recul, cette bonté et cette naïveté et je me persuadais que c’était ça. Que c’était tout.

Et puis j’ai eu ce moment, seule, aujourd’hui, à ne pas décrocher de mon ordinateur, des réseaux sociaux, relevant la tête uniquement pour regarder les images passant en boucle sur mon écran de télé.

Abrutie d’informations, saoule de chocs à répétition, je me suis perdue des heures dans la digestion de tout ce que je pouvais lire et entendre, sans m’arrêter, sans penser si c’était bon ou mauvais, si c’était trop ou pas assez, j’étais devenue boulimique de l’horreur et j’ai besoin de vomir ce cauchemar.

Depuis mercredi, je suis Charlie. Pas parce que je suis une fan de Charlie Hebdo, ni même en l’honneur des victimes de ce massacre, pour ça, j’ai versé des larmes, allumé des bougies et me suis dit que « quand même… Cabu…. »
Je suis Charlie parce que je suis profondément choquée qu’on puisse lancer des balles en riposte à des coups de crayons, je suis en colère de voir la liberté giflée aussi facilement par des crétins à œillères, je suis triste de me rendre compte seulement maintenant à quel point mon équilibre et ma vie égoiste ne tient qu’à peu de chose et est en danger permanent et je suis honteuse de ne m’en être seulement satisfaite jusque là.

Je rage de devoir expliquer l’horreur à mes enfants, je suis fière de les voir si sages, je suis indignée par les gens qui se gaussent, je suis émue par les regards croisés.

Je suis révoltée parce que j’ai peur.

Aujourd’hui, je me suis laissée envahir par toutes ces émotions, l’effervescence médiatique et le trop plein d’inhumanité encaissé.
Je me suis retrouvée à avoir peur.

Une vraie peur, de celles qui t’empêche de réfléchir, de te reprendre, une peur qui te paralyse et qui balance à ton cerveau tout ce qu’il faut pour la nourrir encore et encore.

Je suis allée à l’école chercher les enfants avec cette peur, et puis j’ai vu leurs sourires, et je devais leur rendre, parce que ce sont eux, la joie.
Et moi l’exemple.
Celle qui doit montrer que tout va bien, que tout va mieux et que tout ira, même si je suis trop honnête pour ne pas tempérer ce genre d’affirmation, je dois le faire avec le sourire de cette maman qui flanche pas.

Sur le chemin du retour, nous sommes passés, comme toujours, devant un dessin au pochoir posé à terre.
Jusqu’ici il était insignifiant.
Aujourd’hui, il a pris tout son sens quand j’ai permis à N°1 de se servir de sa craie.

 

Une photo publiée par Nat (@cranemou) le

En rentrant, il m’a dit que quand il serait grand, il délivrerait des messages comme ça, partout où il pourrait et quand il le faudrait.
Et puis, il a chantonné la chanson des partisans qu’il apprend à la chorale.
Parfois, tout est tellement évident.

Je les ai couchés sans faillir, avec le sourire et beaucoup de fierté.

 

Et après, j’ai un peu pleuré.

 

8 réflexions sur « Vomir, sourire, ne pas subir »

  1. Les miens sont plus grands que les tiens, et quand j’ai dû expliquer, je n’ai pas pu retenir mes larmes. D’ailleurs depuis mercredi j’ai un mal fou à les retenir. L’envie de vomir est là aussi depuis et je pensais qu’elle passerait un peu avec les dénouements de ce soir, mais il n’en est rien.
    En vrai, je suis comme toi, humaine.
    Et parce que je ne peux rien faire d’autre, je t’offre un freehug.

  2. Je suis dans le même état. Mon fils a 4 ans j’ai du en parler avec lui car il est tombé sur les infos ça a pas été évident mais des le lendemain il avait oubliée. Hormis cela je suis triste pour ses gens qui sont morts mais comme toi je suis plus mal pour ce que représente cet acte. La liberté d’expression, de la presse. Je suis pas Charlie aujourd’hui par mode mais parce que je suis blessée et j’ai peur. Peur que mon fils grandisse sans pouvoir dire ou faire ce qu’il veut, effrayée qu’il grandisse dans un monde ou tuer des gens qui s’expriment est possible en France, notre pays, le pays de la liberté. Je suis un peu impliqué dans la vie politique je suis conseillère municipale et je fais aussi partie d’une association. J’étais fière de mes engagement dans cette société qui devient de plus en plus individualiste et je pensais qu’en m’impliquant je pouvais faire bouger les choses mais après ce qui s’est passée je me dit que j’en fait pas assez que c’est gens rien qu’en dessinant en faisait tellement plus. Je sais pas trop quoi faire à l’heure actuelle je suis perdue et mal.

  3. Ton grand tant par ses mots (le billet d’hier m’a scotché) que par son dessin a su panser un peu mes plaies
    Je suis Charlie, et dimanche dans ma ville nous serons des milliers de Charlie sur le pavé.

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