Avant propos :
Je m’étais promis de ne jamais aborder ce sujet là. Trop personnel et anxiogène au possible pour toute future maman qui se respecte.
Y’a bien que les imbéciles qui ne changent pas d’avis et surtout, depuis quelques jours, je bondis de lire certains commentaires suite à cet article de Marie Hélène Lahaye. De commentaires outrés par la violence des propos à ceux balayant d’une seule main le fait même que cela existe réellement. Des personnes qui se permettent de juger des choses qu’ils n’ont pas connu sous prétexte qu’elles paraissent inconcevables.
A vous, futurs parents, je vous déconseille de lire ce qui suit à moins d’aimer vous faire peur. Je suis désolée d’exposer là des faits angoissants, mais après réflexion, ce blog reste mon chez moi et j’ai besoin aujourd’hui d’en faire ma tribune.
A vous qui vous permettez de nier cette souffrance, voici mon expérience.
A vous qui avez connu cela, voici mon témoignage.
Je ne suis pas quelqu’un de particulièrement branché sur le retour au naturel en puissance et le « c’était mieux avant ». Je suis une personne lambda qui vit avec son temps et qui s’en accommode fort bien. Tel était le cas lors de ma première grossesse et rien ne me fera changer d’avis à propos de la sécurité que peuvent nous offrir aujourd’hui les hôpitaux pour donner naissance à nos enfants.
Lorsque j’attendais ce premier enfant, j’ai beaucoup lu à propos de l’accouchement. Point particulièrement inquiétant lorsque nous sommes enceintes. J’ai lu du beau et du merveilleux comme du triste et de l’effrayant.
Je sais (et j’en suis bien heureuse) que la plupart des accouchements se passent parfaitement bien (ne rêvez pas, ça fait mal quand même).
Je ne nie pas l’existence de médecins, infirmiers, sages-femmes et autre personnel hospitalier ultra compétents tant dans les gestes que dans l’accompagnement à la personne.
Mais pour ce premier enfant, je n’ai croisé qu’une seule de ces personnes là.
Les autres ont été mes bourreaux.
Pendant 20 heures.
Alors que j’avais perdu les eaux, je me suis rendue à la maternité dans l’euphorie la plus totale: j’allais accoucher. Cela allait mettre un terme à mon statut de baleine échouée d’une part et me faire découvrir les joies (enfin) de la maternité. J’ai même quelques photos qui peuvent prouver que j’étais bien loin d’un quelconque stress au moment d’arriver.
1h10: On sonne à l’interphone et on nous ouvre, nous demandant d’attendre dans une petite salle.
Alors on attend. On est content, on va avoir un bébé, c’est pas rien.
Et on attend encore. Ceci dit, je n’ai pas de contraction du tout et les protèges slips de nos jours sont aussi efficaces que des Pampers.
La porte s’entrouvre et une voix nous demande d’avancer dans le couloir. Soit. Je suis bien élevée, je fais ce qu’on me dit.
Je m’allonge en ayant pris soin d’enlever pantalon et slip, jambes en l’air, on me fait le premier toucher vaginal de ma soirée. Tout est normal.
On somme mon mari de repartir chez lui pendant qu’on m’installe dans ce qui ressemble à un placard avec un lit mis là à la va-vite. Peu importe où après tout, il faut attendre, j’attends, mais attendre seule ne m’enchante guère. Pourtant, on nous explique que mon mari ne PEUT pas rester.
On abdique, je lui dis que ça va aller.
Je ne dors pas, rapport que tout de même, c’est une histoire de fou ce truc de devenir maman dans quelques heures !
Jusqu’à 6h30, personne ne vient me voir et je ne peux pas me lever étant donner que je suis branchée sous monito (qui se débranche régulièrement et que je remets en place seule, donc).
Après avoir éradiquer la forêt amazonienne pour imprimer un doppler foetal de 6h, mon mari refait son apparition.
Je lui demande d’appeler quelqu’un, hein, juste pour savoir où on en est. Et puis ça commence à piquer un peu au niveau contraction, finalement.
« Vous êtes à 1 »
Ha.
On m’autorise à aller me balader un peu mais je reviens assez vite, je suis douillette, et quand j’ai l’impression qu’on m’enfonce des banderilles dans les reins, je préfère grimacer loin d’un public.
Il est 7h30, j’ai soif, mais on me dit qu’il est désormais interdit de boire. Tant pis.
Je me plains d’avoir quand même un peu mal. Quelqu’un vient me voir et m’injecte en intraveineuse un « petit » calmant.
Pour me calmer, ça me calme, je suis à Hawaï.
Je suis toujours aussi dilatée que l’esprit d’un pétainiste, mais on me demande de me lever quand même parce que je vais tout de même passer en salle de travail.
« Youhou, ça commence » me dis-je en jouant à la bille de flipper dans le couloir tellement je suis droguée.
C’est là que tout à vraiment commencé, effectivement.
« Bon, on va vous provoquer les contractions pour que ce soit plus rapide ».
Je n’y connais que dalle, ils savent ce qu’ils font, hein, c’est leur boulot.
Joie des ocytocines qui m’emplissent de cette sensation incroyable de ne plus rien maitriser. En 30 minutes, j’ai des contractions qui ne rentrent même plus dans le petit écran qui tente tant bien que mal à les enregistrer.
Je suis ligotée au monito et mon mari m’asperge d’un brumisateur que je me félicite d’avoir acheté en version géante.
J’ai mal. Très. Les contractions fusent toutes les minutes au point culminant. Je pleure un peu, je suis un peu perdue aussi. La péridurale me semble une excellente option.
On me fait donc assoir après avoir couru après anesthésiante de service. J’ai les fesses à l’air mais comme tout le monde a déjà vu l’entrée de mon vagin, finalement, je m’en contre-carre.
« Faites le dos rond ».
Je n’y arrive pas, rapport que j’ai 60 secondes pour trouver cette position avant que le pic ne reprenne ses droits.
On m’engueule. Je ne fais pas d’effort. AUCUN. J’exagère même.
Je sers les dents et je sens l’aiguille me rentrer dans le dos. Je jure à qui veut l’entendre que j’aime ce sentiment de futur soulagement en sentant le liquide anesthésiant passer le long de mon dos dans le tube relié au cathéter.
J’ai toujours mal, mais armée de mon petit régulateur, je clique comme une sauvage pour connaitre le répit.
Rien n’y fait. J’ai toujours aussi mal. Je commence sérieusement à faiblir. Je me laisse aller à pousser des cris de douleurs qu’on me demande instamment de réprimer rapport que ça pourrait faire peur aux autres futures mamans.
A chaque pic de contraction, je tombe dans les pommes pour mieux me réveiller au suivant. Je ne tient pas et balance un lâche « j’en peux plus, je fais une pause, je reviens demain ». Je ne suis plus tout à fait là, plus tout à fait consciente. J’essaie de bouger mais ma jambe gauche est paralysée par la péridurale qui a pris visiblement le mauvais chemin. Ceci explique cela.
Taisez vous Madame, moins fort enfin.
Vous n’allez pas pleurer tout de même ?
Si. Si, je pleure, mais je le fais pas exprès, je suis désolée, pardon.
J’arrive à exprimer verbalement le fait que la péri ne fonctionne pas, je demande quand il sera possible d’avoir une seconde chance.
« On verra »
4 heures.
En essayant de garder le silence, en essayant de me faire discrète. Je suis terrorisée. Fatiguée.
Je ne suis plus grand chose à ce moment précis.
Un nouvel anesthésiste se présente. Je ne me souviens pas très bien, j’obtempère il me semble.
J’ai « de la chance », on peut faire une deuxième péridurale vu que mon col fait grève.
On m’abandonne là, la dose maximum m’ayant été administrée afin que je me calme.
Je vais mieux. On va toujours mieux quand la douleur ne fausse pas notre perception.
Une stagiaire aide-soignante se faufile dans la pièce et s’assoit près de moi en me prenant la main. Elle m’a entendu crier à côté. Elle devrait suivre l’accouchement de ma voisine, mais elle a voulu venir me voir. Me prendre la main. Plonger son regard dans le mien et me dire que ça allait aller. Me dire de respirer. Un regard bienveillant au milieu de robots. Un discours d’une douceur extrême qui me permet pour quelques temps de reprendre mes esprits.
MERCI.
On revient vers moi quelques heures plus tard. Je ne sais plus combien. C’était long, il me semble, mais trop court pour reprendre quelques forces.
Vous êtes à 8. Si dans 30 minutes ça ne bouge pas, on passera en césarienne.
Je n’ai aucun problème avec cette option.
1 heure plus tard, on revient. Ça n’a pas bougé.
Quelques minutes se passe quand la gynécologue que je ne connais pas intervient: on va commencer à pousser madame.
Ah. Bon. A 8 donc. Bon. Ok.
Vous ne poussez pas.
Je n’ai plus de force, je m’excuse platement.
On va vous aider.
Une dame se met à cheval sur mon visage, une autre prend mon ventre entre ses mains et à deux, elles me pressent comme un tube de dentifrice. Je ressens une douleur atroce au niveau de mes côtes, de mon plexus et de tout ce qu’il me reste d’organes.
J’hurle.
Moins fort. Vous exagérez là. Vous êtes vraiment douillette.
20 minutes de ce supplice plus tard, elles se résignent et rappellent la gynéco en renfort. Elle colle une ventouse sur la tête de mon fils et me demande de pousser à son commandement. J’ai envie de pousser en permanence à vrai dire et j’ai bien du mal à me contenir.
Je suis nulle.
Je n’aide vraiment pas.
Faites un effort madame.
Je sens une pression énorme de la tête de mon enfant qui tente tant bien que mal de sortir par ma cuisse droite. Je signale cette impression.
« Vous ne savez pas »
Ah.
Le docteur vire la ventouse et dégoupille une paire de forceps. On n’a pas bien le choix hein madame.
On fait sortir mon mari. Y’en a pour 10 minutes.
Je sens quelque chose de chaud me couler sur la cuisse. Je saurais quelques temps plus tard que c’était le sang d’une épisiotomie, plus pratique pour insérer les pinces.
Debout devant moi, je vois cette dame masquée, un pied à terre, l’autre en appuie sur ma table de travail. La sueur goutte sur son front. Elle tire pour essayer de me sortir ce qu’il me reste de tripes. Je pleure en silence.
30 minutes plus tard, elle abandonne ses outils au sol. Je n’existe plus. Mon enfant est en souffrance. Je passe au bloc.
Je suis quasi soulagée que ce calvaire s’achève, même ainsi.
Sur mon brancard je croise le regard hagard de mon mari qui, seul dans le couloir, n’a eu aucune nouvelle et me voit soudain transférée en urgence. On lui dit d’attendre. Encore.
On m’attache, on m’ouvre. J’entends le cri de mon fils s’éteindre. On l’emmène. Je ne sais pas où. Je demande si tout va bien mais toutes les blouses sont trop occupées à brasser du vent autour de moi pour me répondre.
J’hurle en exigeant de savoir.
Personne. On me laisse attendre 15 minutes dans l’angoisse et une certitude grandissante que mon fils est mort.
Je somme l’infirmière anesthésiste qui veille à mon bien être de se lever et d’aller voir elle même. Je vais bien aller moi, mais je veux savoir. C’est MON enfant.
Elle revient en me rassurant. Il va… mieux.
Recousue de milles points et de quelques agrafes balafrant à jamais mon ventre, plusieurs personnes se mettent autour de moi pour me transbahuter sur le brancard qui m’attend. Je vire tout le monde, de rage, je refuse qu’on me touche. Plus jamais. Laissez moi.
Cette nuit là j’ai souffert physiquement, beaucoup. Je regardais mon fils défiguré mais bien portant et je ne savais pas si j’étais vraiment mère.
A 8 h le lendemain matin, la gynécologue est venue me rendre visite. Suivie d’une dizaine d’internes.
« Je viens montrer à mes étudiants votre cas fort intéressant. Une épisio et une césarienne, c’est rare, il faut qu’ils voient ça »
Avant de baisser à jamais mon regard je fixe ces jeunes en me demandant s’ils seront plus humains. Aucun n’ose regarder mon intimité.
La bête de foire est intéressante jusqu’au point où ça devient inhumain de ne pas prendre en compte qu’elle a une dignité, elle aussi.
En repartant de ma chambre, la gynécologue jette un œil dans le berceau de mon fils.
« Ouh bah vous pourriez quand même éviter le bonnet hein, on est en juin ».
Voilà. CA, c’est ma réalité. J’ai mis 3 mois à ne plus souffrir des hématomes internes provoqués par les sages femmes.
J’ai mis près de 4 ans à me reconstruire psychologiquement et physiquement, bien que je ne sois pas bien certaine que tout soit encore bien réglé.
Alors oui, on parle de torture. On parle de sévices et de mutilations sexuels.
Je suis bien désolée de dire que ça existe et le fait que la majeure partie des accouchements se passent bien ne justifie pas qu’on n’ait pas le droit de dire que certaines d’entre nous ont été détruites de façon consciente par des personnes qui ont profité de leur blouse pour assouvir un narcissisme maladif.
Nous avons été meurtries, nous avons le droit de le dire, parce que c’est le seul moyen qu’il nous reste que de faire reconnaitre cette souffrance et de passer à autre chose.
Un jour.