C’était long…

T’as remarqué comme je reviens ici pour mieux repartir pendant encore mille ans ?
Oui. je sais. C’est pas faute d’avoir des choses à raconter, et pourtant, je n’y arrive pas. Plus. Je m’y colle et puis les mots m’échappent.
Alors je recommence un article. Pour mieux renoncer derrière. Peut être que ce sera la même histoire encore aujourd’hui va savoir.
Mais si j’arrive au bout alors tu comprendras pourquoi c’est dur. Et peut-être que ça me permettra de passer à autre chose aussi.

Depuis la naissance de Clapiotte, j’avais entamé le deuil de la maternité. Deux accouchements difficiles où le risque de perdre mes enfants était bien trop proche avaient eu raison de l’avenir de mon utérus.
Et puis, parfois, la vie est plus forte et JackJack s’est niché là sans trop prévenir. J’ai passé trois mois à osciller entre la détresse absolue et l’euphorie totale, et je peux t’assurer que ce soit pour moi ou mes proches, ça a pas été les trois mois les plus simples de nos existences.
Et puis Jackjack est resté blotti là.
J’ai traversé cette grossesse avec autant de peurs que d’espoir, j’étais suivie comme le lait sur le feu, je ne faisais rien de trop pour que mon corps supporte le challenge et je regardais la date que l’on m’avait donné comme un but libératoire qui achèverait ce trop plein d’angoisses et la trouille de perdre ce bébé inespéré.

Après Clapiotte, on m’avait prévenu de tout ça. Des risques d’une troisième grossesse dans mon cas, pour le bébé et pour moi. J’ai donc franchi les caps des semaines en félicitant chaque jour un peu plus mon corps de tenir le choc. Encore un peu. Et un peu plus, jusqu’au presque bout, quand le bébé serait suffisamment grand pour s’en sortir seul mais pas trop gros pour ne pas risquer le pire. On m’avait prévenu, mais je n’y avais jamais pensé.

Le moment de l’accouchement a été un cauchemar émotionnel jusqu’à ce que je prenne part aux festivités.
J’étais dans cette salle avec tous ces gens masqués qui me tournaient autour. J’avais froid et peur et je tremblais à plus m’arrêter. Parce que, hein, « jamais deux sans trois », pourquoi cette fois j’aurais la chance que ça se passe bien après tout ?
J’ai été serrée dans des bras inconnus, chaque paire d’yeux croisé m’envoyait compassion et courage et puis cette main qui s’est accrochée à la mienne, fort, très fort et encore un peu plus quand on a entendu « on y va ».

A ce moment-là, à peine m’avait-on ouvert le ventre qu’il est parti se niché encore plus profond pour ne pas qu’on vienne le retrouver.

Et c’est arrivé. On m’a dit de pousser. Pour aider. Comme « en vrai ». Alors à l’intérieur de moi j’ai parlé à ce petit JackJack qui n’avait pas décidé de sortir, je me suis excusée de devoir le brusquer, et puis j’ai poussé, deux fois, quelqu’un a dit quelque chose à propos de ses cheveux et tout à coup il est apparu au dessus de moi. Je ne pouvais pas le toucher, je ne pouvais pas bouger, et j’étais follement amoureuse de ce moment. On ne m’avait jamais présenté mes enfants avant cet instant, au moment de leur naissance. Il était tout comme je l’imaginais. Ça a duré quelques secondes et je revois encore parfaitement les gants sous ses bras, sa petite grimace, son œil ouvert à moitié, sa perfection dans le détail.

On me l’a enlevé pour l’emmené en nursery. La sage femme faisait exprès de passer devant la porte automatique pour qu’elle s’ouvre et que je vois mon bébé et celui qui devenait tout à coup son papa. On se parlait de loin avec les yeux, il voulait savoir si j’allais bien et je lui répondais en demandant comment était le bébé.
On s’est enfin rejoint et les heures qui ont suivi n’appartiennent qu’à nous trois.

Et puis les lendemains sont arrivés. Avec des soupçons de ci ou de ça, des tests, des analyses, pour lui, pou moi.
Moi, je ne voyais que cette fronce sur son arcade, comme s’il était né soucieux.
J’ai dû lui dire longtemps que maintenant, ça allait, que tout allait, que tout irait, pour que se déplisse enfin ce front rempli de mes propres angoisses.

Je me raccrochais à voir mon chéri être père et mes deux grands être en admiration devant ce tout petit, mais au fond de moi bouillonnait encore cette trouille de le perdre.

La sage femme qui m’a suivie en suite de couche m’a aidée à sortir la tête de l’eau avant que je me noie totalement. J’ai mis des semaines, des mois à reprendre confiance en moi, en nous et surtout en lui. J’accepte petit à petit qu’il aille bien alors que j’épiais le moindre problème potentiel. JackJack m’aide à surmonter mes peurs en étant bien plus courageux et vaillant que sa maman. Mais ça a été dur, tout a été dur, de ces angoisses qui me collaient, de mon corps douloureux une éternité, de cette fatigue paralysante.

La dépression post partum m’a taquinée un bon moment et revient fréquemment me chatouiller derrière les oreilles mais je vois depuis quelques temps de nouvelles lumières où nous sommes en train de devenir ce nous en entier.

C’était long et je sais qu’il y a encore quelques démons à éviter, mais on arrive petit à petit à les oublier, j’arrive petit à petit à les ignorer.

C’était long.

Et ça a étouffé pas mal de créativité, suffisamment pour que je ne sois plus capable d’écrire tout ce temps.

C’était long.

Mais t’as vu, j’ai réussi à te le raconter.

C’est pas peu pour moi.

Merci d’être témoin de ça.

5 réflexions sur « C’était long… »

  1. Magnifique texte, les mots sont justes, touchants, intimistes mais pas intrusifs.
    Je ne connais que parfaitement la dépression post partum, celle qui s’installe et que tu ne veux pas voir, qui te laisse tout sourire et visiblement épanouie devant le monde entier et qui vient sournoisement t’écraser dès que la porte est fermée. Celle qui te fait te sentir si nulle pour ce petit être, que la moindre chose qui semble ne pas aller devient une montagne, qui t’inflige des nuits d’insomnie bien plus importantes que les réveils de ton petit.
    Mais j’ai une bonne nouvelle… ça s’estompe avec le temps… pour moi ça n’a pas disparu complètement, elle revient parfois me taquiner mais, entourée par des professionnels et mon conjoint, j’ai réussi à remonter une bonne partie de la pente.
    Je vous envoi tout mon courage, et continuez d’écrire, même si c’est ponctuel, JackJack vous donnera la force d’avancer

  2. C’est un bébé inattendu, un nouvel amour, une histoire différente. Il est temps de prendre ensemble votre envol, de déployer vos ailes pour profiter de votre liberté et de ce que le monde a de beau à vous offrir, et même du pas beau parce qu’ensemble vous saurez y faire face. Belle route à vous, et prends le temps qu’il te faut même si te lire ici est toujours un beau cadeau…

  3. Tu n’as rien perdu de ta plume. Même si ça a pris du temps tu réussis à transmettre ton émotion avec sincérité. Ton texte est touchant. Nos enfants sont bien plus fort que nous à certains moments. Ils nous aide à avancer. Tu l’a fait…
    bravo. Je pense bien fort à toi

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